Mes aventures avec la COVID-19 sous la lanterne de l’intersectionnalité

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Ceci est le neuvième blog de la série Recherche sur l’IA et COVID : voyages vers l’égalité des genres et l’inclusion). Cette série de blogs est née de l’atelier de rédaction organisé par Gender at Work dans le cadre du programme de recherche sur la science des données et l’intelligence artificielle pour lutter contre le COVID-19, également connu sous le nom d’AI4COVID, financé par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) et l’Agence suédoise de coopération internationale au développement (ASDI). L’initiative faisait partie de l’atelier final d’apprentissage par l’action sur le genre qui s’est tenu à Nairobi, au Kenya, en février 2023. 

Dans cet article de blog, Hélène Diéne partage son expérience de la pandémie, où elle travaillait dans une clinique COVID-19 comme assistante de recherche et tombe elle-même malade par la suite. Elle évoque ses craintes et ses incertitudes et explique comment ces expériences l’ont amenée à comprendre l’importance du genre et de l’intersectionnalité pour l’utiliser dans sa recherche doctorale sur les impacts désagrégés du COVID-19 afin d’être plus pertinente au regard du contexte. 

Ce blog est écrit dans sa langue originale en français, ci-dessous, et la version traduite en anglais est disponible ici.

Mes expériences de la pandémie

En Mars 2020, j’ai participé à la Formation des Assistants de Recherche en Sciences Sociales suivi d’un stage pratique au CRCF (Centre Régional de Recherche et de Formation à la prise en Charge Clinique de Fann), CHNU FANN, Dakar-Senegal, option “Coronavirus et épidémies émergentes”. Suite à cela, en Juin 2020, j’ai été recrutée comme assistante de recherche dans cette structure. Dans le cadre de mes activités, je faisais partie de l’équipe qui appuyait l’assistante sociale dans la prise en charge psychosociale des patients testés positifs, mis en quarantaine dans un Centre de Traitement Extrahospitalière (CTE) de Dakar durant la première vague. Notre rôle consistait à appeler les patients pour discuter avec eux, les rassurer, répondre à certaines de leurs questions, recenser leurs besoins et les satisfaire si possible…  

A cette époque, tout le monde avait peur de la maladie, moi y compris ! Peur de ce nouveau virus qui faisait des ravages un peu partout dans le monde. Chaque jour, que ce soit à la télé, à la radio,sur les réseaux sociaux, on ne parlait que du nombre de cas positifs et du nombre de décès. Et cette situation ne faisait qu’accentuer cette peur en moi de jour en jour. A côté de tout cela, il fallait strictement respecter en permanence les mesures barrières (port de masque, lavage des mains, respect de la distance…) et les mesures restrictives (couvre-feu, interdiction de rassemblement et de circulation inter-régionale…) édictées par le gouvernement. Face à cette situation, moi je devais aller travailler dans un CTE. 

Ce fut une période pleine d’incertitude car on pouvait être contaminé à tout moment et contaminer ses proches, vu le niveau de virulence de ce virus qui se manifestait un peu partout. D’une part, j’étais excitée et très fière à l’idée d’apporter ma pierre à l’édifice dans cette réponse et d’autre part, j’avais peur surtout lorsque je pensais aux membres de ma famille que j’exposerais à un éventuel risque de contamination sans le vouloir. Je me posais énormément de questions. Au fond de moi, je me demandais comment vais-je partir dans un centre de traitement le matin et revenir chez moi le soir sans me contaminer ni contaminer aucun membre de ma famille ? Tout en sachant qu’à l’époque, je vivais avec deux personnes vulnérables en raison de leurs comorbidités : ma mère, une personne âgée et hypertendue et l’une de mes grandes sœurs qui est asthmatique. Certes, j’interagissais avec les malades par téléphone mais ma présence dans ce centre ne me rassurait pas totalement. Cependant, l’ambiance de travail qui régnait dans ce CTE avec les différents membres du personnel (personnels soignants, hygiénistes, agents de la Croix Rouge…), me réconfortait beaucoup et m’aidait à surmonter cette peur que je ressentais au plus profond de mon être.  

Au cœur de toutes ces incertitudes, je partais au centre le matin avec mon binôme, les jours où on devait être sur place pour travailler et je rentrais les soirs à la maison. Toutefois, je veillais toujours à prendre les dispositions nécessaires pour ne pas être en contact avec les gens. Les membres de ma famille me le rappellent par moment d’un ton taquin, lorsqu’il m’arrivait de les négliger ! Du coup, une fois chez moi, je prenais mon temps pour me désinfecter avant de toucher quoi que ce soit. Ainsi, avec le temps, je commençais à ne plus avoir autant peur jusqu’au jour où j’ai commencé à ressentir des symptômes juste un mois après. Je me demandais si j’allais finalement être testée positive à la COVID-19 ?

Quand une maladie devient une réalité

Le vendredi 07 Août 2020, le jour où je devais recevoir les résultats de mon test, je me suis réveillée, avec tellement d’optimisme ! Ce jour-là, au fond de moi, je me disais que les résultats allaient certainement revenir négatifs surtout que je commençais déjà à me sentir beaucoup mieux grâce aux médicaments que je prenais. Comme à l’accoutumé, j’ai pris ma douche, mon petit déjeuner et je suis restée dans ma chambre pour me connecter sur les réseaux sociaux, histoire de me détendre un peu avant l’annonce de mes résultats.  

Vers 14h, on m’a amené mon repas. A peine une bouchée avalée, mon téléphone sonna ! J’ai tout de suite décroché. Au bout du fil, j’entendis la voix du médecin. Il m’a dit :« Bonjour Hélène, je suis désolé mais vos résultats sont sortis positifs ». Il ajouta : « Avez-vous respecté les mesures barrières à la maison et pris les médicaments que je vous avais prescrits ? ». Je lui ai répondu Oui. Il me rassura en me disant : « Ne vous inquiétez pas, quelqu’un d’autres va vous appeler pour vous parler des modalités de la quarantaine ». J’avais déjà pris mes distances avec le reste de la famille selon les instructions du médecin suite à l’apparition de mes premiers symptômes. 

Il faut reconnaître que lorsqu’on se parlait au téléphone, je n’avais pas peur et je me disais au fond de moi que ce n’était rien du tout. Cependant quand j’ai raccroché, je suis restée silencieuse pendant un moment. Sur le coup, je me suis rappelée de tous ces moments passés avec ma famille dans l’attente de ces résultats. Et c’est ce qui m’a le plus fait pleurer. Oui, j’ai fondu en larmes ! Ces larmes, il le fallait. Je devais les faire sortir, ne serait-ce que pour me soulager et faire évacuer ce que j’avais dans le cœur. En effet, je me suis réellement rendu compte que je constituais réellement un « danger » pour ma famille : les contaminer et les exposer à la stigmatisation dans le quartier. Je me culpabilisais rien qu’au fait d’y penser.

Tant de questions me traversaient l’esprit en ce moment. Maintenant, le problème c’était comment l’annoncer à ma famille ? Après quinze minutes de réflexion dans ma chambre, j’ai pris mon courage à deux mains, j’ai appelé ma maman. Elle est venue me rejoindre dans ma chambre tout en respectant la distance. Elle s’est arrêtée devant la porte. En voyant mes larmes couler, elle a automatiquement compris. Son instinct de mère l’a poussée à vouloir me serrer dans ses bras pour me réconforter mais de peur de la contaminer, je lui ai sur le champ demandé de ne pas s’avancer. Face à cette situation, elle a fondu en larmes puisqu’on savait toutes les deux à quoi nous attendre. Je lui ai par la suite demandé de se retirer, histoire de ne pas l’exposer davantage et d’informer mes sœurs de la situation. Par la suite, j’ai informé mes supérieurs et mes collègues qui m’ont beaucoup soutenue et assistée durant cette dure épreuve. 

Quelques instants plus tard, un autre monsieur m’a appelé pour m’expliquer les modalités de la mise en quarantaine et m’a donné jusqu’au lendemain matin pour y réfléchir et confirmer mon choix. J’avais deux alternatives: soit rester chez moi pour le suivi à domicile, soit me faire interner dans un CTE. Au début, je ne voulais pas sortir de cette chambre pour ne pas exposer davantage les membres de ma famille. Ainsi, j’ai pensé à rester chez moi pour suivre mon traitement à domicile. Cette nuit a été très longue et très stressante pour moi et pour ma famille dans la mesure où ma maman et mes sœurs m’appelaient à tout moment pour voir si j’allais bien ou pas, si je n’avais pas besoin de quelque chose… A travers, leurs appels, j’ai senti leur amour, leur sympathie, leur désir de vouloir me soutenir et m’aider dans ces moments difficiles sans le pouvoir en raison de la « distance protectrice » qui nous séparait. J’étais devenue une étrangère chez moi car toutes nos communications se faisaient au téléphone. J’ai également senti la peur qu’elles dissimulaient à tout prix pour ne pas me stresser davantage. Je me suis rendue compte que ma mère et les autres n’avaient pas réussi à fermer l’œil de la nuit suite à cette nouvelle. Cette situation insupportable et les conseils de mes supérieurs et du médecin m’ont motivée à choisir la mise quarantaine dans un CTE pour une meilleure prise en charge. Surtout que j’avais un aperçu là-dessus. C’est comme ça que j’ai par la suite été internée dans ce même CTE dans lequel j’intervenais.

Dans le cadre de mes activités dans ce CTE, j’interagissais beaucoup avec les malades hommes comme femmes par téléphone. Je voyais ce qu’ils vivaient au quotidien comme défi face à la maladie. Ils étaient enfermés entre quatre murs à attendre le jour où ils auraient enfin deux tests consécutifs négatifs pour sortir définitivement de cet endroit et rejoindre leurs familles. Par contre, je n’imaginais pas qu’un jour, moi aussi j’allais cohabiter avec certaines d’entre elles en tant que malade.

Mise quarantaine au CTE

Le jour où je suis arrivée dans ce centre à bord d’une ambulance avec un chauffeur en EPI (Equipement de protection individuel) et un médecin en EPI, qui m’a accueillie et conduite dans ma chambre pour m’installer avec tout le protocole qu’il faut. Là, j’ai enfin accepté que j’étais réellement malade. J’ai été très bien accueillie par les femmes qui étaient sur place car la majorité me connaissait déjà. Durant mon séjour en ces lieux, j’ai eu la chance de cohabiter avec des femmes formidables et très enthousiastes malgré la maladie. Dans de CTE, j’ai vu des femmes internées avec leurs enfants testés positifs. J’ai vu des femmes mères de nourrissons qui culpabilisaient à cause de leurs enfants qui étaient loin d’elles. Ce qui me plaisait le plus dans cet endroit, c’était le fait qu’on était juste des femmes et on se comprenaient mutuellement malgré la différence d’âge, de situation matrimoniale, de la profession, de statut, de niveau d’étude, de religion, de nationalité, … On cohabitait ensemble dans la « Téranga sénégalaise » et on cherchait des solutions ensemble pour notre bien-être.  Car volontairement, on veillait à la propreté des lieux en nettoyant proprement les couloirs, les toilettes et les chambres. On faisait des exercices de remise en forme (Fitness). On profitait aussi des moments de déjeuner et de diner pour discuter et partager nos histoires avec la COVID-19 dans le respect strict des mesures barrières. C’était des moments forts qui nous permettaient de nous détendre et de nous évader un peu, histoire d’oublier un peu le stress de la maladie avant de retourner chacune dans nos chambres respectives. Tout se faisait dans un élan de solidarité incroyable et extraordinaire. 

C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à voir la différence entre la manière de vivre, de s’adapter aux réalités du milieu entre les hommes et les femmes qui étaient internés séparément dans ce centre. Mais malheureusement à l’époque, je ne connaissais pas le concept d’intersectionnalité. Dans ma conception des choses, je pensais que le genre se limitait uniquement aux femmes. J’avais vécu énormément de choses que je voulais exprimer mais je me limitais seulement à la santé dans mes analyses et au genre parfois mais pas en profondeur.

Sous la lanterne de l’intersectionnalité

Suite à ce projet, j’ai intégré un autre programme de recherche intitulé « Usages de l’intelligence artificielle dans la lutte contre la COVID-19 : adaptabilité locale et acceptabilité sociale pour une IA éthique et responsable (SENEGAL-MALI) en tant que doctorante et assistante de recherche en Novembre 2020.Toujours à mes débuts dans ce projet, je me limitais à la socio-anthropologie de la santé qui se trouve être ma spécialité pour analyser les réalités sociales auxquelles je suis confrontée aux quotidiens dans le cadre de mes recherches. Je n’ai jamais pensé à faire une corrélation entre le genre, l’intersectionnalité et la santé dans l’analyse des résultats que je manipulais. En tant que jeune chercheure, j’avais une vision très restreinte du concept Genre.

Intégrer l’équipe genre du projet IA4COVID dirigé par le Professeur Tidiane Ndoye a été l’une des plus belles expériences que j’ai vécues dans ce projet. Pendant plus de deux ans, on a eu des séances de travail et d’apprentissage par les pairs en internes avec les membres de l’équipe et en externes avec le groupe Gender at Work. Au cours des deux années dans ce projet, j’ai appris depuis la conception des outils, durant nos rencontres internes pour discuter sur le genre, lors de la formation des étudiants qui sont chargés de collecter les données, lors de la collecte et de l’analyse des données quantitatives et qualitatives à tenir en compte des aspects genre et intersectionnel. C’est capital de prendre en considération la particularité du milieu parce que nous avons fait nos études dans les districts sanitaires de Dakar Ouest, Kédougou, Touba, Ziguinchor, Richard-Toll et Mbour. Et dans chacun de ces districts qui ont été visités, on a eu à rencontrer des hommes et femmes qui ont vécu différemment cette pandémie

A travers ce que j’ai appris avec Gender at Work, je me rends compte de jour en jour que l’analyse de mes résultats serait plus pertinente et plus exhaustive si je prends en compte ces aspects. Nos différentes rencontres en ligne m’ont permis de déconstruire petit à petit cette idée selon laquelle le genre se limitait uniquement aux femmes et parfois même à penser que c’était réservé aux féministes tout comme beaucoup de personnes d’ailleurs. Et qu’au-delà du genre, nous avons le concept d’intersectionnalité qui vient nous aider davantage à être plus précis dans nos travaux sur le genre. C’est-à partir de ce moment que j’ai commencé à comprendre ce que signifiaient vraiment le genre et l’intersectionnalité et comment le genre interagit avec d’autres identités sociales pour façonner les préjugés.

En effet, concept, nous rappelle qu’il ne faut pas seulement se limiter aux faits d’être homme ou femme pour comprendre les réalités sociales. De fait, pour ventiler l’information dans l’analyse, il faut décomposer les données en sous catégories détaillées, ce qui nous permet de mieux comprendre les réalités sociales. Surtout en tenant en compte certaines particularités des individus en fonction de leur catégorie sociale, leur âge, leur niveau d’étude, leur situation matrimoniale, leur statut financier, leur secteur d’activité, leur religion, leur culture, leur ethnie, leur pays… Tous ces aspects nous semblent parfois évidents mais s’ils sont bien documentés, ils nous évitent de tomber dans le piège de rester dans une analyse superficielle de nos résultats. 

Par ailleurs, tout comme l’écrivent Mario Chàvez Claros dans « My Journey Through Gender Analysis » et Marguerita Beneke de Sanfeliu dans « Why am I still getting the look ? » (tous deux issus d’un précédent atelier d’écriture de Gender at Work), l’important est que le genre dans la recherche va au-delà de l’apprentissage personnel, nous devons également voir ce qu’il est important de faire maintenant ce qui va suivre et comment nous pouvons améliorer notre travail à l’avenir qui implique de se concentrer sur le genre dans la recherche. 

En ce qui me concerne, j’envisage de mettre l’accent sur le genre dans ma thèse qui porte sur les données dans la prise en charge COVID-19. Plus précisément sur l’expérience des usagers à savoir les membres du personnel médical et des patients qu’ils soient homme ou femme. Et je pense que faire une analyse intersectionnelle du genre sur ces expériences serait une très bonne idée pour mieux comprendre cette situation.

Ce blog post a été écrit par Hélène Agnès Diéne, une Jeune chercheuse et Doctorante en socio-anthropologie de la santé, LASAP-UCAD, et est sous une  CC BY 4.0 license. © 2023 Hélène Agnès Diéne.

Lisez les autres blog posts de la série ici.

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